Imputabilité et responsabilité civile décennale
Bonjour !
Je suis ravie de vous retrouver pour aborder la notion d’imputabilité en matière décennale, et l’importance de ne pas confondre origine et cause du désordre, à la lumière d’un arrêt de la Troisième Chambre Civile du 11 septembre 2025, publié au Bulletin.
Civ 3ème, 11 septembre 2025, n° 24-10.139
Nous le savons, un entrepreneur n’est responsable que des désordres affectant les travaux dont il a la charge : c’est l’imputabilité en droit de la construction.
Le dictionnaire Larousse définit l’imputabilité comme étant la possibilité d’attribuer à un individu la responsabilité d’une infraction.
En construction, cela revient à déterminer si les fautes commises par l’entreprise sont à l’origine des dommages dont se plaint le maître de l’ouvrage.
Sans cette preuve, sans ce lien de causalité, la responsabilité du constructeur ne peut pas être retenue.
Mais cela va encore plus loin en matière de responsabilité civile décennale : on ne s’attache pas à examiner les fautes.
La RC décennale est établie sans que la cause des désordres soit nécessairement connue dès lors que le désordre affecte le lot dont celui dont on allègue la responsabilité est titulaire.
Le maître d’ouvrage doit seulement apporter la preuve du lien d’imputabilité du désordre au lot de l’entreprise concernée, ce qui n’équivaut pas à la preuve de la faute.
C’est là où il ne faut pas confondre origine et cause du désordre, et c’est notamment au travers d’arrêts rendus en matière d’incendie que la Cour de Cassation a illustré son propos.
Avant 2018, la jurisprudence était assez restrictive : l’incendie, pour être couvert au titre de l’article 1792, devait avoir pour origine un vice de construction établi et non une cause inconnue.
A partir de 2018, la Cour de Cassation a fait évoluer sa position : désormais, seule compte l’origine du sinistre, qui doit naturellement résider dans l’ouvrage. Le vice ou la défaillance n’ont plus à être prouvés.
Ainsi, en cas d’incendie, l’imputabilité aux travaux suffit, et il n’est pas nécessaire de démontrer le vice les affectant, peu important que la cause de l’incendie soit inconnue.
Civ 3ème, 28 janvier 2021 n° 19-22.794
Civ 3ème, 29 juin 2022 n° 21-17.919
En cas de dommage avéré, c’est-à-dire quand l’incendie a eu lieu, la jurisprudence de la Cour de Cassation permet donc la mise en jeu de la RC décennale des constructeurs.
L’arrêt du 11 septembre 2025 est une nouvelle illustration de cette problématique liée à l’imputabilité.
Un maître d’ouvrage avait confié à une entreprise des travaux d’électricité dans le cadre de la construction d’une maison.
Postérieurement à la réception, un incendie a détruit la maison, et après expertise, le maître de l’ouvrage a assigné l’électricien et son assureur en indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité décennale.
La Cour d’Appel a toutefois jugé que la RC décennale du constructeur n’était pas engagée au motif que si le sinistre avait pris naissance dans le tableau électrique, il n’était pas démontré avec certitude qu’il était en lien avec un vice de construction ou une non-conformité affectant cet élément, l’expert n’ayant pas pu faire de constatations techniques suffisantes au regard de son état de dégradation.
Aux termes d’un arrêt très didactique, la Cour de Cassation casse et annule l’arrêt d’appel en rappelant que la présomption de responsabilité pesant sur les constructeurs résultant de l’article 1792 du Code Civil est déterminée par la gravité des désordres, indépendamment de leur cause.
3ème Civ., 1er décembre 1999, n° 98-13.252
Cette présomption ne peut être écartée que lorsque les désordres ne sont pas imputables aux travaux réalisés par l’entrepreneur.
3ème Civ., 20 mai 2015, n° 14-13.271
Ainsi, comme le souligne l’arrêt, s’agissant du lien d’imputabilité, c’est-à-dire l’origine du désordre, il suffit au maître de l’ouvrage d’établir qu’il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d’intervention du constructeur recherché.
Une fois que l’imputabilité est établie, la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue, le constructeur ne pouvant alors s’exonérer qu’en démontrant que les désordres sont dus à une cause étrangère.
En l’espèce, la Cour de Cassation a estimé que la motivation de l’arrêt d’appel ne permettait pas d’exclure un lien d’imputabilité entre les dommages et les travaux de l’entrepreneur.
La Troisième Chambre Civile rappelle ainsi que la RC décennale est établie sans que la cause des désordres soit nécessairement connue dès lors que le désordre affecte le lot dont celui dont on allègue la responsabilité est titulaire.
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