Prise de risque du maître d’ouvrage et responsabilité civile décennale
Prise de risque délibérée par le maître d’ouvrage : une part de responsabilité peut être laissée à sa charge (3ème Civ, 16 mars 2023, n° 18-24.581).
Un maître d’ouvrage, propriétaire d’un appartement au dernier étage d’un immeuble de copropriété, avait confié des travaux de réhabilitation des combles à une entreprise, sous la maîtrise d’oeuvre d’un architecte.
Face au risque d’effondrement du plancher séparant les deuxième et troisième niveau de l’immeuble, la propriétaire de l’appartement situé au deuxième étage a assigné son voisin en expertise, ainsi que le syndicat des copropriétaires, les constructeurs et leurs assureurs, avant de les assigner en indemnisation sur le fondement du trouble anormal du voisinage.
Le copropriétaire maître d’ouvrage a sollicité devant les Juges la garantie complète des locateurs d’ouvrage et de leurs assureurs, sur le fondement de l’article 1792 du Code Civil.
La Cour d’Appel a toutefois fixé à sa charge une part de responsabilité à hauteur de 20 %, soit une somme de près de 40.000 €.
Les Juges ont en effet estimé que le maître d’ouvrage avait contribué à son propre dommage.
Mécontent de la décision, ce dernier a formé un pourvoi en cassation.
Il a considéré que les Juges d’appel n’avaient pas caractérisé à son encontre une immixtion fautive ni recherché s’il était compétent en matière de construction alors que, selon lui, seule l’immixtion fautive du maître d’ouvrage notoirement compétent est susceptible d’exonérer le constructeur de sa garantie décennale.
Son argumentation est rejetée par la Cour de Cassation.
Les Juges Suprêmes ont relevé que le maître d’ouvrage n’avait pas été autorisé par l’assemblée générale des copropriétaires à surélever la toiture et modifier les combles pour en faire un logement, ce qui de surcroît augmentait la charge sur un plancher très ancien.
Le maître d’ouvrage avait également refusé un devis du maître d’oeuvre préconisant une réhabilitation complète, privilégiant un simple confortement, malgré les conclusions et préconisations d’un expert.
Selon la Cour de Cassation, les Juges d’appel ont ainsi constaté une prise de risque délibérée de la part du maître d’ouvrage.
Ce dernier ne pouvait ignorer ces risques, compte tenu de l’ancienneté du bâtiment et de son refus persistant d’une réhabilitation complète.
La Haute Juridiction rejette ainsi le pourvoi, considérant que la Cour d’Appel, qui ne s’était pas fondée sur l’immixtion fautive du maître d’ouvrage mais sur son acceptation des risques, avait légalement justifié sa décision.
Cet arrêt illustre le fait que si la responsabilité décennale encourue par les constructeurs est une responsabilité sans faute établie par le simple fait que les travaux du constructeur sont affectés de désordres atteignant la solidité ou la destination de l’ouvrage, il est néanmoins possible d’être exonéré en raison d’un certain comportement de la victime des dommages.
C’est une théorie jurisprudentielle très ancienne qui suppose que le maitre de l’ouvrage, avant la signature des marchés, ait été clairement averti par l’entreprise, des risques encourus s’il persistait dans ses choix.
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